Cette chronique sera un peu différente de ce que je fais
habituellement. Je ne vais pas parler d’un seul livre en particulier, mais
d’une série entière. Que dis-je, de tout une saga ! Non pas pour vous décortiquer chaque tome et vous
balancer du spoil dans la gueule en veux-tu en voilà, rassurez-vous, mais
uniquement pour vous présenter l’univers génialissime créé par nul autre que
Robin Hobb. Je veux bien sûr parler du cycle de l’Assassin Royal.
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Je vous prie de croire que descendre tous ces bouquins de ma
bibliothèque jusque dans les escaliers, c’était bien casse-couilles ! |
Je l’ai découvert il y a 8 ans, lorsqu’une amie m’a prêté le tout premier tome :
« L’apprenti assassin ». Je ne savais absolument pas dans quoi je
foutais les pieds, ni même que cette passion allait m’accompagner un bon bout
de temps, au gré de mes déménagements et de mes galères. Enormément de livres
sont passés à la trappe depuis, des
livres que je pensais garder et dont je me suis finalement séparée parce que je
ressentais plus rien pour eux, certains que j’ai relu et bien moins aimés puis
que j’ai donné, et d’autres que j’ai revendu parce que j’avais besoin d’oseille
(oui parfois tout n’est qu’une question de pognon !) mais pas l’Assassin
Royal. Cette série a subi pas moins de 7 changements de domicile, plusieurs
invasions de mouche à caca, une tentative
vite avortée de mon petit frère de s’essayer à la lecture, de la bave de chien,
l’humidité, la poussière et le temps qui passe. La plupart des tomes sont
cloqués de taches jaunes, surtout les 6 premiers et tous ceux des
« Aventuriers de la mer », et sentent le vieux parchemin qui donne faim (si si, je vous jure)
Une
saga qui s’apprivoise
Je me souviens parfaitement du moment et de l’endroit où je
me trouvais quand j’ai lu le tout premier tome ; et surtout, je me
souviens de ce que j’ai ressenti. Honnêtement, je me suis simplement dit que
j’avais trouvé là une bonne distraction, une lecture efficace et agréable comme
je les aime qui, manifestement, puisque je savais de combien de livres était
constituée la série, serait avec moi quelques mois. Ça n’a pas été un coup de
cœur immédiat. Je passais simplement un bon moment, au début, avec une narration que je n’avais jamais vu en
fantasy et des personnages parfaits, avec juste ce qu’il faut de commun dans le
genre pour qu’on soit pas trop dépaysé. C’est quand j’ai compris, petit à
petit, que tout un vaste monde riche, bien loin d’avoir tout dévoilé, était en
train de s’ouvrir sous mes yeux et que j’en percevais à peine les premières
toiles, que j’ai été happée.
Avec Robin Hobb,
on apprend la patience. La dernière série en date de ce cycle : « Le
fou et l’Assassin », se termine tout juste et j’ai la sensation qu’on a à
peine entrevu ce que l’auteure voulait nous raconter. Pourtant, 5 séries composent cette saga, avec
chacune 6 à 9 tomes (oui, elle voit grand) mais ça se dévoile lentement, ça
s’échappe et nous montre l’infini d’un monde vaste. Parfois, j’avais
l’impression d’en saisir une partie, d’en connaître enfin un morceau, une part
de son histoire, ou ne serait-ce qu’un bourg, une colline ou une vallée, et
puis tout s’échappait et se remodelait de lui-même par un souvenir, l’arrivée
d’un nouveau personnage ou bien un petit détail
qui me sautait aux yeux et m’obligeait à tout remettre en question.
Si je n’avais qu’une seule chose à reprocher à toute cette
fresque romanesque, ce serait son rythme.
Hormis la lenteur de l’évolution de l’intrigue et des révélations qui jalonne
le récit, je trouvais que ça manquait parfois cruellement d’action. Il y en a,
évidemment, au fil des livres, car les personnages ont des missions à accomplir
et des batailles à mener, mais assez souvent les développements sont tout en
finesse, en dialogues et en réflexion.
L’auteure n’essaye même pas de nous faire croire que c’est accidentel ;
elle nous livre un récit d’une complexité étonnante en nous mettant l’eau à la
bouche par ses rares bribes d’information et elle le fait clairement exprès.
C’est comme si, tout en nous offrant tout ça, elle nous retenait en arrière,
par la main, en nous disant : « Nan
nan, pas tout de suite »
Des
protagonistes qui se livrent
Mais avant d’être des épopées, ces histoires sont des personnages. Pas moins d’une dizaine de
mecs et de nanas par séries interagissent et évoluent dans certaines situations
qui, aussi étonnant que ça paraisse, ne sont jamais les mêmes. Malgré certaines
lignes scénaristiques qui se regroupent, car tout ça suit un fil principal,
l’auteure ne nous raconte jamais la même chose. Bah il en va de même pour les
personnages. Evidemment, certains traits de caractère se ressemblent (et je
soupçonne, pour quelques-uns, que ce soit fait exprès) mais tous sont bien
définis, reconnaissables. Parfois attachants, parfois haïssables, certains
m’ont tout de suite touchée et d’autres ne m’ont plu qu’après un peu de temps
grâce à une évolution sensible.
Entre Brodette, Kettricken, Œil-de-Nuit, Burrich, Altéa,
Malta, Parangon, Kalo, Carson, Alise, Persévérance et bien d’autres, j’ignore
lequel je suis le plus triste de quitter !
Le travail psychologique et émotionnel que Robin Hobb accomplit avec eux est d’autant plus
incroyable que près de soixante années (si je dis pas de conneries) s’écoulent
entre le tout premier tome et le tout dernier. Ces personnages changent donc et
évoluent constamment en fonction de la série et l’époque dans laquelle on les
retrouve (car oui, les crossovers sont nombreux et certains principaux d’un arc
peuvent apparaître en tant que secondaires dans un autre à des années
d’intervalle !!) En fait, en tant que spectateurs, on les observe
traverser la vie et c’est
incroyablement touchant la plupart du temps, ça fout une boule au ventre par
moment quand on se rappelle par exemple comment étaient certains d’entre eux
bien des années plus tôt. Parfois, j’avais juste l’impression de retrouver de
vieilles connaissances, et je me sentais tout de suite à l’aise dans une
nouvelle série quand d’anciens personnages apparaissaient, même succinctement,
ce qui permet de prendre tout de suite pied.
L’auteure réussit l’exploit de toujours nous faire aimer de
nouveaux protagonistes malgré la nostalgie et la tristesse qu’on a ressenti en
quittant les précédents. Personnellement, je n’ai jamais eu aucun mal à
commencer une toute nouvelle aventure parce que je savais qu’elle avait le
talent suffisant pour me faire adorer de nouveaux personnages, car le travail
qu’elle accomplit me convient parfaitement. Je suis très sensible à l’attachement quand je lis, certains
personnages deviennent vraiment des amis, alors je suis totalement et toujours
ouverte à ce que Hobb propose. En gros, je suis à 100% le genre de lecteur qui convient à son style quoi.
Un
monde qui s’étend toujours plus
Dans la majorité des livres/séries fantasy que je connais et
que j’apprécie, les frontières sont clairement définis dès le départ (je pense
notamment à « Druides » de Olivier Peru ou encore « Les Royaumes de
Tobin » de Lynn Flewelling qui sont de superbes bouquins) et je pensais
que c’était la même chose quand j’ai commencé l’Assassin Royal. Mais Robin Hobb
a plus d’un tour dans son sac et tout comme elle aime prendre son temps avec
l’intrigue, elle aime aussi dévoiler ses créations par petites touches. Si j’ai
très vite compris que ses livres cachaient beaucoup de choses et surtout un
monde incroyablement riche et vaste,
ça s’est cependant dévoilé lentement. Chacune des séries se passe dans un coin
particulier d’une carte gigantesque et tout fini par avoir un lien malgré les distances géographiques parfois
astronomiques. Seulement, encore une fois, il faut savoir faire preuve de
patience.
Tout le cycle semble être arrivé à son terme et je n’ai
compris qu’à la toute fin comment chacun des pays et des royaumes étaient liés
(je soupçonne même un lien avec l’endroit où se passe « Le soldat
chamane », l’une de ses seules séries qui ne serait pas, à première vue,
liée à « L’Assassin Royal ») mais je saurais pas expliquer comment…
En réalité, des choses restent en suspens. En tout cas,
c’est mon ressenti. Du coup, j’ose espérer, mais peut-être que c’est uniquement
dû au fait que je ne veux pas que ce soit terminé !!, que l’auteure va
continuer sur sa lancée.
Elle en a fait énormément, ça fait des années que ça dure,
mais tout est si étendu et complexe que je suis certaine qu’elle pourrait continuer comme ça un moment. Entendons-nous
bien, je suis la première à déclamer souvent rapidement et toujours haut et
fort que certaines séries vont trop loin, en livre comme à la télé, et
qu’auteurs et/ou réalisateurs devraient arrêter de tirer sur la corde et d’en
faire trop (je pense au « Trône de Fer », notamment) Quand certaines
s’arrêtent en pleine gloire, je suis plutôt contente, surtout si je pressentais
un dérapage en cours de route si ça
stoppait pas. Alors que j’en redemande pour ce cycle, ça veut sans doute dire
quelque chose.
Une
auteure qui n’a pas froid aux yeux
Pratiquement inexistantes au début, l’homosexualité et la
bisexualité s’invitent ensuite dans la saga avec un naturel qui m’a d’abord
désarmée. L’originalité de ses personnages et la multiplicité des différentes personnalités s’expliquent sans doute
un peu grâce à ce sujet que Robin Hobb n’a pas hésité à aborder.
Certains protagonistes sont à l’aise avec leur sexualité
depuis des années, d’autres la découvrent seulement, et c’est traité sans prise
de position, sans interdit et sans peur.
Elle n’hésite pas non plus à pimenter quelque peu ses récits par des scènes légèrement
érotiques, bourrées de charme et d’amour, et d’autres plus violentes qui m’ont
parfois fait grincer des dents malgré la nécessité de leur présence. Elle
évoque et dénonce des sujets sensibles comme le
viol, l’esclavage, la dépression, l’abandon, la maltraitance infantile, la
fugue, et beaucoup d’autre qui donne à ses histoires une profondeur tragique.
J’aime particulièrement quand elle traite, avec beaucoup de
sensibilité, du rapport de l’être humain avec l’Histoire en général, et le
passé. Certains n’accordent absolument aucune importance aux monuments et civilisations
historiques et dans un élan parfaitement égoïste sous couvert de tout raser pour
mieux renaître, détruisent et saccagent sans
pitié. L’auteure nous sensibilise, à travers ses textes, à l’importance de
la sauvegarde de notre patrimoine et de la conservation des souvenirs et des
actes historiques sous toute leur forme. Oui, la guerre est quelque chose de
terribles, les génocides aussi (et il y en a, dans ses livres) mais aussi
horribles qu’ils soient, on ne doit pas pour autant les oublier, au risque de
commettre les mêmes erreurs.
Je pense qu’elle et moi portons un même regard sur ce sujet,
et c’est sans doute pour ça que ce cycle m’a totalement envoûtée. Et c’est
particulièrement présent et poignant dans « Le soldat chamane ».
C’est assez casse-gueule,
à bien y regarder, d’écrire une telle chronique. C’est vraiment un tel coup de
cœur énorme que j’ai l’impression de ne pas être objective. J’ai tenté de
parler des plus et des moins, mais étant donné que je suis ultra fan du
concept, du style et de tout ce qui va avec, bah j’ai l’impression de manquer
de discernement.