C'est ce qui s'appelle prendre un gros coup de pied au cul !
Sans transition :
Parution : 2013
Pages : 470
Résumé :
Voici l'histoire du dernier des hommes qui parlait la langue des serpents, de sa sœur qui tomba amoureuse d’un ours, de sa mère qui rôtissait compulsivement des élans, de son grand-père qui guerroyait sans jambes, d’une paysanne qui rêvait d’un loup-garou, d’un vieil homme qui chassait les vents, d’une salamandre qui volait dans les airs, d’australopithèques qui élevaient des poux géants, d’un poisson titanesque las de ce monde et de chevaliers teutons épouvantés par tout ce qui précède...
Ces quelques lignes en 4ème de couv nous
promettent soit du nawak soit du lourd niveau imaginaire. J’ai une révélation à
vous faire : il s’agit là d’un mélange subtil, intelligent et audacieux
des deux. Et plus encore, à vrai dire.
Leemet, le narrateur et personnage principal, est celui dont
parle le titre : l’homme qui savait la langue des serpents. De base, c’est
assez inattendu, mais pour toute personne connaissant un tant soit peu Harry Potter (oui, j’ose évoquer le Fourchelangue) pas aussi déstabilisant qu’il y
paraît. Et pourtant, ce Leemet, avec cette capacité qu’il a de discuter avec
les vipères royales, n’est en réalité pas le personnage le plus surprenant et
loufoque de ce roman indéfinissable, énorme pavé dans la mare littéraire.
Véritable épopée historique qui fait penser aux croisades,
fresque chevaleresque, satire religieuse, aventure d’une vie mêlant habilement
fantasy, fantastique, romance et gothique, le tout saupoudré d’un humour mordant
toujours inattendu qui peut faire rire aux éclats mais auquel se mêle parfois
une violence qui fait frémir.
Ce que l’auteur nous propose est unique, plein d’une audace
rarement vue. Le début est pourtant relativement calme, presque banal :
Leemet est un petit garçon qui assiste à une cérémonie religieuse qui l’ennui
et qui préfère s’amuser, comme n’importe quel petit garçon. Mais il grandit et
finit par comprendre que la religion n’est pas qu’ennuyeuse quand on ne la
comprend pas : elle peut aussi être dangereuse.
Nous voyons tout un monde s’effacer, disparaître petit à
petit à travers ses yeux et on se sent aussi impuissant que lui face à la
modernité qui chasse le passé sans aucun remord, avec violence, incapable de s'accorder avec les valeurs ancestrales bien plus anciennes qu'elle. L’obscurantisme
total évoqué ici, à travers ce monde moderne qui s’installe à la lisière de la
forêt où vit Leemet, est effrayant, bien plus effrayant que les hommes de son
peuple qui parlent la langue des serpents, que ceux qui possèdent, comme les
reptiles, des crochets venimeux, ou encore les ours qui lorgnent après les
jeunes filles, ce Sage qui voue un culte sanglant aux génies des bois dont on
doute de plus en plus de l’existence…
Oui, au fil du récit c’est un monde toujours plus étrange
que nous dévoile l’auteur et pourtant on accepte tout ce qu’il dévoile sans
protester. C’est incongru ? Oui, évidemment, mais c’est amené avec un tel
art de l’écrit, du conte et de la narration que cela semble s’imbriquer
parfaitement dans son univers, le nôtre ; un univers qu’on a l’impression
de connaître tant tout est fluide et naturel, mais qu’on découvre pourtant
totalement. Après 400 pages, on en découvre encore et on n’a pas fini d’être
surpris.
Les hommes de la forêt parlent aux serpents ? D’accord,
dis-nous-en plus. Ils traient des louves et se nourrissent de leur lait grâce à
cette langue qui fait obéir la majorité des animaux, sauf les hérissons et les
fourmis qui en sont sourd ? Si tu le dis ! Allez, j’en veux encore.
Les ours parlent, eux aussi, cette fameuse langue, et aiment séduire les
femmes, toujours attendries par ces énormes plantigrades énamourés ? Je
veux bien ! Qu’est-ce que t’as d’autre à me proposer ? Une créature
qui vit au fond de l’océan et n’en remonte que tous les 1000 ans pour reprendre
sa respiration ? Des anthropopithèques qui élèvent des poux, dont un de la
taille d’un cheval ? Un sorcier qui capture les vents dans des sacs ? Une
salamandre géante qui dort sous terre ?
Au bout d’un moment, j’en voulais juste plus, j’en voulais
encore.
L’auteur semble nous nourrir de son imaginaire foisonnant
mais il n’en oublie pas de garder un pied dans la réalité. Car, comme je le
disais, la modernité chasse le passé à coup d’épées, d’aveuglement religieux et
petit à petit l’imaginaire disparaît, la magie aussi, remplacés par la
sanglante réalité d’un monde obscur, plongé dans les ténèbres de l’ignorance en
étant pourtant persuadé de tout savoir grâce à un dieu de cruelle bonté :
Jésus.
Si aucune date précise ne nous est donnée on peut donc quand
même situer cette histoire au début de l’époque médiévale. On en arrive même à
penser que, peut-être, tout ceci a réellement existé tant le talent de l’auteur
est grand (et celui du traducteur aussi, qui a su rendre toute la puissance
narrative de ce conte éternel !)
Il est difficile de parler d’une œuvre comme celle-ci. J’ai
lu une admirable chronique que je vous partage ici.
Je ne me sens pas vraiment de taille à détailler une telle
histoire. Sachez simplement qu’il est question de Leemet, l’homme qui savait la
langue des serpents, qu’il est plein de courage, de détermination. Pourtant,
tout ce qu’il entreprend pour tenter de sauver son monde qui s’efface paraît
impossible, comme s’il tentait d’attraper la fumée du passé avec ses mains.
L’auteur fait désormais partie des meilleurs de mon répertoire
de livres lus, et je lirai les autres titres de sa bibliographie sans hésiter.
Petit clin d'oeil à une amie qui a réussi à en parler mieux que moi : l'ours bibliophile !